Équilibre acido-basique, un trompe l’œil pour la santé de notre squelette ?
Résumé
Les études médicales récentes réfutent les hypothèses anciennes émises quant à l’influence de l’équilibre acido-basique sur la santé des os, hormis pour certains maladies graves des reins notamment. Les régulation pulmonaires et rénales sont, en temps normal, très puissantes. En fait, si les végétaux sont importants, c’est par leur pouvoir anti-inflammatoire. Et il est également majeur d’avoir des apports suffisants de protéines pour entretenir la structure biologique de l’os. Les régimes alimentaires méditerranéens sont excellents pour la santé de nos os.
Équilibre acido-basique et ostéoporose
On lit souvent, sur des blogs et dans des articles sur la santé, qu’il est important de veiller à son équilibre acido-basique pour conserver des os en bonne santé.
Cette théorie postule que l’augmentation de l’acidité urinaire et/ou sanguine, due à la consommation de certains aliments, entraînerait une déminéralisation du squelette. D’où une ostéoporose induite et des risques de fractures augmentés. Les protéines animales seraient particulièrement incriminées dans cette hypothèse. Inversement, des aliments entraînant une augmentation du caractère basique des urines ou du sang seraient favorables à la prévention de l’ostéoporose (et de l’ostéopénie).
Cette théorie est notamment reprise dans un article publiée en 2010 par des chercheurs de l’Université de Lausanne qui concluent que l’eau minérale peut avoir un rôle important dans la prévention de l’ostéoporose. Il est à noter qu’un des auteurs a une adresse de messagerie rattachée à une grande marque d’eau minérale…
Cette théorie est également souvent reprise par les défenseurs de la condition animale. Sous couvert de santé, elle leur permet (à tort ou à raison, ce que nous verrons plus loin) de recommander l’arrêt de la consommation de produits animaux.
Des doutes sur la question ?
Il se trouve, par ailleurs, qu’une étude importante sur la santé des os a étudié la question de l’équilibre acido-basique au milieu de plusieurs autres. Cette étude qui a suivi pendant une soixantaine d’années 10.000 personnes aux Etats-Unis, à Framingham, a été publiée en juin 2015. Sur la question de l’équilibre acido-basique, l’étude conclut : « Ces résultats suggèrent que, à l’exception peut-être des hommes âgés, la charge acide alimentaire estimée par l’ingestion alimentaire, n’a pas d’association avec la densité minérale osseuse ».
Il n’est, bien sûr, pas possible de conclure définitivement à partir d’une seule étude, fût-elle de la qualité de celle-ci : il s’agit d’une étude de cohorte (donc d’un niveau élevé dans la hiérarchie des preuves scientifiques) menée dans un cadre extrêmement réputé pour les résultats antérieurs, notamment sur l’origine des maladies cardiovasculaires.
Approfondir la question
Comme j’ai envie de faire de vieux os (au sens propre et figuré), j’ai décidé d’aller plus loin pour en avoir le cœur net, même si le sérieux des études de Framingham était déjà un élément majeur. A cet effet, je me suis plongé dans les études publiées dans la presse professionnelle médicale. Je voulais y chercher les plus concluantes sur la question, c’est-à-dire les méta-analyses, les expériences en double aveugle et autres études de cohortes…
Un article du Pr. Bonjour, du CHU de Genève en Suisse, défriche les grandes lignes de la question.
Selon le Pr. Bonjour, la théorie de l’influence de l’équilibre acido-basique date des années 1960. Elle est la suite des études menées sur des personnes ayant des insuffisances rénales sérieuses. On avait émis l’hypothèse, à l’époque, que la mobilisation des minéraux osseux permettait de limiter l’accumulation d’acide dans le corps, avec un risque d’ostéoporose à long terme. On peut retrouver, d’après d’autres auteurs, les prémices de ces théories dès le XIX° siècle.
Le pouvoir des poumons et des reins
Pour introduire son article et le résumer d’emblée, le Pr Bonjour cite une phrase de Homer Smith : « Il n’est pas exagéré de dire que la composition des fluides du corps est déterminée non pas par ce que la bouche avale mais par ce que gardent les reins : ce sont les maîtres-chimistes de notre environnement interne. Lorsque, entre autres fonctions, ils excrètent les cendres des feux internes de nos corps, ou qu’ils retirent de notre sang l’infinie variété de substances étrangères qui sont constamment absorbées par notre système digestif aveugle, ces opérations excrétrices contribuent à la fonction principale qui consiste à garder notre environnement interne dans un état idéal, équilibré ».
Le Pr Bonjour rappelle ensuite la capacité du système respiratoire à utiliser le dioxyde de carbone et ses dérivés (les bicarbonates, notamment) pour réaliser une première adaptation du pH sanguin. A cet effet, les poumons modulent et régulent la quantité de CO2 présent dans le corps.
Il indique également que les reins ont des capacités de gérer l’équilibre acido-basique du corps par plusieurs processus : modulation de la réabsorption des bicarbonates, gestion des phosphates, gestion de l’ammonium.
Il indique que ces mécanismes sont suffisamment puissants pour réguler l’équilibre acido-basique interne du corps chez les personnes en bonne santé. Mais, il n’en va pas forcément de même chez les malades des reins ou des poumons. Chez ces malades, et uniquement dans ces cas particuliers, on peut trouver un léger impact de l’alimentation sur l’équilibre acido-basique. « Toutefois, en l’absence de ces pathologies, les composantes alimentaires ne déclenchent ni l’acidose, ni l’alcalose dans les fluides extracellulaires. Toute influence d’origine nutritionnelle qui perturbe légèrement l’équilibre acido-basique est corrigée à la fois par des systèmes tampons biochimiques fonctionnant dans les deux compartiments intracellulaires et extracellulaires ».
Une collection impressionnante d’études sur la question
Les recherches biologiques récentes – qui ont permis de comprendre en détail les mécanismes à l’œuvre – sont mentionnés dans l’article. Nous ne les reprendrons pas ici.
Il faut simplement mentionner deux études relativement récentes (2008). Elles réfutent clairement l’hypothèse ancienne que l’ingestion de potassium, de végétaux ou la diminution des protéines animales permettraient de protéger les os, chez les femmes en bonne santé.
Certaines études s’interrogent, par contre, sans répondre définitivement à l’heure actuelle, sur les risques de calcification des tissus en cas d’ingestion prolongée de sels basiques.
Différentes méta-analyses sont citées et l’une d’elles (2009) est très claire dans sa conclusion : « La promotion d’un « régime alcalin » pour empêcher la perte de calcium n’est pas justifiée ».
Il est important de mentionner un article (2002) qui mentionne les bénéfices de différents végétaux (notamment oignons, salades, herbes…) sur la santé osseuse, non pas par leur caractère basique, mais par un ou plusieurs composants actifs. Ainsi donc, tout ceci nous renvoie à ce que nos lecteurs savent déjà : les fruits et les légumes ont une influence favorable sur la santé des os car ils diminuent l’inflammation chronique de l’organisme.
Complément
Ce qui est extrêmement intéressant, c’est que les conclusions de cet article du Pr Bonjour sont confirmées par celles d’une méta-analyse publiée en 2011 : « Une association causale entre la charge acide alimentaire et les maladies ostéoporotiques n’est pas étayée par des preuves et il n’y a aucune preuve qu’un régime alcalin est protecteur de la santé des os ». Nous avons là, avec cette méta-analyse qui reprend 21 études antérieures, l’une des meilleures preuves scientifiques que l’on puisse souhaiter en matière de santé.
Conclusion
Au final, on peut échafauder toutes les théories imaginables pour prouver tel ou tel phénomène. S’il est impossible de vérifier que ce phénomène existe, si les expériences réalisées sur le terrain biologique prouvent le contraire, ces théories n’ont pas lieu de se répandre.
Ainsi, rien ne prouve, pour les personnes en bonne santé, qu’une alimentation acide ou basique a une influence quelconque sur la santé des os de la plupart d’entre nous : les reins et les poumons, quand ils sont en bon état, sont des organes suffisamment puissants pour réguler l’acidité interne du corps.
Ce qui est intéressant, par contre, c’est qu’une bonne partie des aliments considérés comme positifs dans le référentiel acido-basique sont également ceux qui ont une influence positive sur l‘inflammation chronique de l’organisme (fruits, légumes, épices, noix et graines…).
De là, il n’y a qu’un pas à considérer qu’il pourrait y avoir une confusion entre deux phénomènes dont l’un (l’inflammation) est de toute certitude impliqué dans de nombreuses maladies de dégénérescence, alors que l’autre (équilibre acido-basique) relève de pathologies graves et rares de la régulation interne du corps…
Tout ceci serait sans gravité si cela n’incitait certaines personnes à diminuer leur consommation de protéines.
Les os ont, en effet, besoin d’une structure protéique solide pour être en bonne santé, comme nous l’avons déjà vu dans un autre article récent.
Il est donc important de consommer suffisamment de protéines (végétales et/ou animales, selon vos préférences).
Une des bonnes façons de prendre soin de soi est d’adopter un régime alimentaire de type méditerranéen, ou encore mieux, de type crétois.
Bon appétit !
Sources :
Bonjour JP, Nutritional disturbance in acid-base balance and osteoporosis: a hypothesis that disregards the essential homeostatic role of the kidney. The British Journal of Nutrition. 2013 Oct;110(7):1168-77.
Jia T1, Byberg L, Lindholm B, Larsson TE, Lind L, Michaëlsson K, Carrero JJ., Dietary acid load, kidney function, osteoporosis, and risk of fractures in elderly men and women. Osteoporos Int. 2015 Feb;26(2):563-70.
Postgraduate Symposium: Positive influence of nutritional alkalinity on bone health., Wynn E1, Krieg MA, Lanham-New SA, Burckhardt P., Proc Nutr Soc. 2010 Feb;69(1):166-73.
Nutrition Society Medal lecture. The role of the skeleton in acid-base homeostasis., New SA, Proc Nutr Soc. 2002 May;61(2):151-64.
Fenton TR, Tough SC, Lyon AW, et al. Causal assessment of dietary acid load and bone disease: A systematic review and meta-analysis applying Hill’s epidemiologic criteria for causality. Nutr J. 2011 Apr 30;10(1):41.
Fenton TR, Lyon AW, Eliasziw M, et al. (2009) Meta-analysis of the effect of the acid–ash hypothesis of osteoporosis on calcium balance. J Bone Miner Res 24, 1835–1840
McLean RR, Qiao N, Broe KE, et al. (2011) Dietary acid load is not associated with lower bone mineral density except in older men. J Nutr 141, 588–594
Muhlbauer RC, Lozano A & Reinli A (2002) Onion and a mixture of vegetables, salads, and herbs affect bone resorption in the rat by a mechanism independent of their base excess. J Bone Miner Res 17, 1230–1236
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